Alors que le port du cache-nez dans tous les établissements d’enseignement est devenu obligatoire depuis le 15 janvier 2021, dans les écoles accueillant des élèves avec un handicap, cette mesure- barrière et la distanciation sont difficiles à respecter
A notre passage au CEFISE, ce jeudi de janvier 2021, la classe du CM1 est en plein cours de mathématiques. L’enseignant, Laurent DIPAMA s’évertue à donner aux élèves des astuces pour le calcul mental. Le cache-nez descendu, il parle fort, en même temps qu’il signe ses explications. « On demande toujours aux élèves de porter les cache-nez dans la classe. Mais l’enseignant est obligé de descendre le sien pour que les élèves sourds et malentendants puissent suivre les cours », se justifie-t-il.
La classe de M. DIPAMA est organisée en groupes de 6 élèves. Dans chaque groupe, Il y a un chef qui coordonne tout et un secrétaire chargé de noter afin de trouver la bonne réponse. Un troisième élève est chargé du matériel : les ardoises, la craie, les éponges et un quatrième qui s’occupe de la gestion du temps. Avec une telle organisation, il est difficile de respecter la distanciation physique. Aussi, l’enseignant exige de ses élèves, le port du masque.
Loin d’être le résultat d’un laxisme de la part des chefs d’établissements accueillant des élèves handicapés, le non-respect du port du masque ou de la distanciation physique tient à des raisons objectives. « Le port du cache-nez est un gros souci qui n’est pas perçu par les autres. Pour un enfant sourd qui a besoin de voir les lèvres bouger, puisque ses repères sont les signes de la face, comment fait-il lorsque son interlocuteur porte un masque ? », s’inquiète la directrice générale du CEFISE, Thérèse KAFANDO.
De plus, il y a ceux qui n’entendent pas bien et ont besoin qu’on élève la voix, alors que le cache-nez l’étouffe. Une explication corroborée par Abraham SAKANDÉ, un élève sourd de la classe du CM1 au CEFISE. « Parmi les mesures barrières, c’est porter le cache-nez qui me dérange beaucoup. Je n’aime pas du tout. Et puis je suis fatigué de le porter depuis tout le temps. En plus je n’arrive pas à lire sur la face des gens qui me parlent », se plaint-il.
A l’école des jeunes aveugles
Autre école, autre constat. Pendant l’interclasse, entre midi et deux heures, la cour de l’école des jeunes aveugles de l’Union nationale des Associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM) résonne des cris et d’autres bruits des élèves profitant joyeusement de cet intermède avant la reprise des cours. En effet, les après-midis sont dédiés aux cours spécifiquement liés à leur handicap visuel. Le visiteur est tout de suite frappé par le fait que les jeux sont surtout caractérisés par le contact physique des élèves entre eux. Ceux qui ne jouent pas, se tiennent la main, qui pour discuter, qui pour déambuler dans la cour. Ce spectacle est d’autant plus surprenant que le Burkina, à l’instar des autres pays, enregistre une hausse du nombre de personnes testées positives à la COVID-19 et de celui des décès liés à cette maladie. Abdoul Aziz SÉBRÉ, est maintenant élève en classe de seconde au lycée mixte de GOUNGHIN, mais il revient tous les jours à l’UN-ABPAM où il peut bénéficier des repas offerts par la cantine de l’école. Le coronavirus, il le redoute. « La COVID-19 occasionne des pertes donc, elle me fait peur comme tout le monde. Pour l’éviter, il y a les mesures-barrières qu’il faut respecter telles que porter le masque, éternuer dans le pli du coude, se laver régulièrement les mains. Par contre, au niveau de la distanciation physique, c’est difficile pour moi. J’ai besoin de l’aide de mes camardes donc forcément je ne peux pas m’éloigner d’eux. Par exemple pour traverser une voie, un camarade doit me tenir la main, ce qui fait que la distanciation, c’est un vrai casse-tête », témoigne-t-il. Son besoin d’assistance permanente de la part de ses camarades rend Abdoul Aziz SÉBRÉ plus exposé à la maladie et cela l’inquiète, en témoigne le son de sa voix qui est pratiquement inaudible et son visage qui se ferme d’un coup quand il évoque sa vulnérabilité.
La Directrice de l’école des jeunes aveugles, Suzanne TAPSOBA/COMPAORÉ, affirme que la direction de l’école a bien expliqué aux enfants dès la rentrée des classes qu’ils ne pouvaient plus se guider comme avant ni se toucher. « Ici, les enfants ne voient pas et leurs repères sont corporels. Si tu veux conduire un enfant, tu ne peux pas le faire sans le toucher, il faut l’attraper pour cela et eux-mêmes entre amis, ils ne peuvent pas jouer ensemble sans se toucher parce que c’est le seul vrai contact pour eux », dit-elle.
Privilégier le lavage des mains
Conscientes que l’inobservation du port du cache-nez, les responsables des établissements d’enseignement inclusifs misent sur le lavage des mains. A l’image de l’Ecole nationale des jeunes aveugles qui a multiplié les dispositifs de lavage des mains. « Pour nous, le lavage n’a rien de nouveau. C’est une vieille habitude pour les élèves, en témoignent les dispositifs anciens, juste derrière le bloc administratif. Mais avec la COVID-19, nous avons augmenté leur nombre. En plus maintenant dans chaque classe, nous avons 4 pots de gel hydro alcooliques.
Et ce n’est pas tout ! Dorénavant, les parents n’ont plus accès à la cour de l’école, ils doivent déposer les enfants à la porte. Pour les élèves de la maternelle, les monitrices les accueillent avec du gel », soutient-elle. Nous avons pu constater par ailleurs que le matin, chaque élève arbore un cache-nez et dans la cour, les adultes portent des masques de protection. Au CEFISE, la directrice reconnaît qu’en dépit des efforts pour le port du cache-nez, les résultats sont mitigés. Pourtant, l’école tient toujours une rencontre hebdomadaire pour rappeler l’obligation de porter un cache-nez. Mais elle se réjouit que les enfants acceptent de se laver régulièrement les matins, c’est-à-dire dès le matin et à chaque fois qu’ils quittent la classe et veulent y revenir.
A la tête de la direction de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre au ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, RASMATA OUÉDRAOGO a bien conscience que des difficultés existent dans le respect des mesures-barrières pour les élèves handicapés. « Les difficultés sont réelles. La réflexion impliquant tous les acteurs, ministère en charge de l’éducation, de la santé, praticiens des écoles inclusives est en cours pour adapter les gestes barrières aux élèves handicapés », selon Mme OUÉDRAOGO. En attendant, la directrice en charge de l’éducation inclusive invite les patrons d’établissements à poursuivre la sensibilisation.
NADÈGE YÉ, journaliste au quotidien SIDWAYA